Récit des opérations du printemps 1917
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temps de m'y enfoncer en m'aplatissant le plus possible. L'obus
est passé avec crissement _ pas bien bruyant _ mais qui vous
arrache le coeur. L'homme n'entendra pas de réponse à sa
question ; il n'entendra plus rien. Le projectile _ un fusant _
explose à deux mètres au dessus de lui, dans un fracas qui nous
parait formidable. Une pluie de sang vole de tous côté et nous
éclabousse. Le pauvre reste encore debout un instant, l'arme à la
bretelle, bien qu'il ne soit plus qu'un corps sans tête, et pendant
que nous nous éloignons en rampant, le cadavre décapité est
tué une deuxième puis une troisième fois, ensuite, soulevé comme
une plume par le souffle géant d'un gros percutant, nous le
voyons voltiger dans une colonne de feu et de fumée noire, les bras
écartés et une jambe de moins, enfin disparaître dans les ténèbres
(1) A grands pas et presque à quatre pattes, nous nous éloignons
de ce coin décidément repéré, dans une atmosphère étouffante de
phosphore, de ...taluol et de suie pénétrante, les mains et la figure
cinglées de gravir et de détritus de toutes sortes.
Le lendemain, voulant profiter du crépuscule pour visi-
ter mon petit-poste, je refis dans l'après-midi le même chemin.
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(1) Péraut. cl. 1917.
La plupart ne bougeaient plus, de ces créatures cadavériques qui, la
veille, déambulaient encore. Plusieurs cependant s'obstinaient à
vivre ; -le boche est têtu-, rampant d'un trou dans l'autre, et jouant
avec les marmites de chez eux un macabre jeu de cache-cache. L'un
d'eux était horrible à voir, avec une face de nègre tuméfiée, des lèvres
fendues, les dents cassées, loqueteux, crasseux, puant la charogne
à plein nez. Il semblait pourrir vivant. Son oeil arraché pen-
dait jusqu'au milieu de sa joue sanguinolente. S'adossant à
une grosse pierre, ce cadavre trouva moyen de saluer après avoir
replié ses jambes devant moi. J'avais des nausées et une envie
folle de l'achever à coups de pistolet. Les poilus m'assurèrent
qu'on ne l'avait pas entendu se plaindre.
_ "Mais qu'est-ce qu'ils foutent les brancardiers qu'ils viennent
pas les chercher ceux-là ?" _ demanda quelqu'un.
_ "Mon vieux, y a pas mèche" _ répond un caporal en retirant
son brûle-gueule. _ "Y a pus de boyaux à c't heure et on peut
"pas passer à découvert avec des brancards vu qu'ils balaient
"partout avec leur bon dieu d'cocon d'88. Hier après l'attaque,
"la moitié des blessés ont été achevés en route et les brancardiers
"dégarcillés.(1)"_
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(1) dégarciller : mot berrichon = abimer, esquinter
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- 49.43914700000002||3.7862996455078246||||1
Craonne
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Story location Craonne
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- 12423 / 127336
- Contributor
- Mme Sylvie Bretelle
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- Western Front
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